mercredi 15 février 2012

VITAMINESARTS 29 - 03/12

Boris Thiebaut




Non-histoire discontinue


Le travail plastique de Boris Thiébaut peut suggérer des rapprochements avec d’autres constructions éclatées, à la manière des écrits de William S. Burroughs. Certes, entre l’univers halluciné produit par les psychotropes et les emprunts à une histoire classique de la gravure et du dessin (Hendrik Goltzius, Jacques Callot), les accointances ne sautent pas immédiatement aux yeux ; mais le travail de Boris Thiébaut a cette faculté de rassembler en un ensemble cohérent des éléments disparates ou éloignés, voire a priori étrangers l’un à l’autre. Ses œuvres peuvent alors s’appréhender comme ces moments de rencontres improbables, où des fragments empruntés à des compositions plus anciennes croisent les développements de registres graphiques variés (traits dessinés, signes typographiques normalisés, effacements à la gomme, etc.), ou des formulations plastiques contemporaines.

Ainsi, dans ses dernières séries, des reproductions de détails des gravures anciennes naissent de l’effacement à la gomme d’un fond crayonné ; lui même obtenu par un réseau dense de traits libres, presque inconsciemment griffonnés par l’artiste, en réminiscence à ses travaux précédents, alors inspirés par les doodles. Le geste quasi automatique qui déroule les doodles ou les hachures se confronte ensuite à la rigueur maniériste d’un second geste, d’effacement cette fois, qui enfante le formes reconnaissables. Le fond des dessins peut ainsi évoquer une forme d’écriture hallucinée, produite sous influence ; tandis que la technique de gommage s’apparente au geste méticuleux du graveur qui burine sa plaque. Liberté gestuelle et maîtrise technique, raccourci du couple passion et raison, se télescopent ainsi pour donner forme à une figure mythologique ancienne, qui vient se confronter à la planéité autoritaire des formes rectangulaires noires, symbole d’un modernisme qui n’en finit pas d’hanter la production artistique actuelle.

Le travail de Boris Thiébaut se construit ainsi comme un « montage par superposition », pour reprendre l’expression qu’utilise Jean Arnaud. Cette technique permet de « traduire variablement une durée stratigraphique ou un espace-temps psychique, entre transparence et opacité (…) L’espace plastique ainsi feuilleté permet de confondre diverses durées dans un seul présent apparent de la fiction et le spectateur doit ordonner arbitrairement ce qui est dessus ou dessous, avant ou après, pour construire lui même le récit. »(1)  Les univers de Burroughs et de Thiébaut sont donc peut-être moins éloignés qu’un premier abord le laisserait penser ; l’un comme l’autre se rejoignent encore sur la mise en forme de nouvelles modalités de récit.

Evidemment, il ne s’agit ni pour l’un, ni pour l’autre, de s’inscrire dans une narration linéaire, posant la maîtrise d’un continuum spatio-temporel, mais bien d’autres structurations de récit, davantage éclatées, obligeant le spectateur-lecteur à retisser les fils lâches de multiples narrations dispersées et juxtaposables. Exercice plus complexe pour nos habitudes d’entendement formatées par la communication de masse, mais probablement mieux adapté aux besoins de notre époque tourbillonnante. Le premier grand théoricien des médias, Marschal McLuhan, notait d’ailleurs que « Si l’existence collective doit être transcrite sur papier, il faut employer la méthode de  “non-histoire discontinue” ». Et c’est bien de cette « non-histoire discontinue » dont traitent in fine les dessins et installations de Boris Thiébaut.

Pierre-Olivier Rollin